Il était une fois un miroir qui  
                           réfléchissait de trop...


           


Pourtant il ne s’agissait que d’un pauvre petit bout de miroir cassé qui pendait au mur de l’épicerie, accroché par une vieille ficelle au bout d’un clou rouillé.

Cette petite épicerie bleue au toit de taule était l’unique magasin du quartier de Kuma Bovota, village de Kpalimé, aux fins fonds de la brousse du Togo.

Dans la petite cahute, on venait acheter son pain, son manioc, son café… On pouvait certains matins trouver des poulets vivants à égorger dans la journée, ou bien aussi des gros malabars roses et plats comme il n’en n’existe plus nulle part.

En entrant dans le magasin, on se trouvait directement face au vieux comptoir en bois vert et aluminium…et sur le mur juste en face, le petit miroir renvoyait la lumière du soleil, trônant au milieu d’affiches publicitaires géantes qui vantaient le bulles rafraîchissantes de la bière FLAG, ou encore les mérites du préservatif « PROTECTOR », qui « se glisse partout, et glisse partout. »

Ce bout de glace brisé était célèbre et connu dans tout le quartier, et même bien au-delà….car il réfléchissait curieusement la moindre goutte de lumière et la renvoyait tant et si bien que quiconque le regardait en face risquait de devenir aussitôt aveugle !

Du coup, seul le chef local Alagbo Amou Tchamé avait le droit d’y jeter un œil. Et Managdou Karita Florès aussi, la vieille voyante obèse, pouvait en user à souhait.

Elle y consultait l’avenir du quartier et tous les habitants lui amenaient qui une chèvre, qui un coq, qui encore un tonneau de grains de cafés séchés….dans l’espoir de connaître leur sort.

Le plus drôle et le plus embêtant avec ce miroir, c’est que les gens devaient baisser la tête et se tordre le cou pour ne pas le regarder en face. Beaucoup sortaient du magasin avec un drôle de torticolis…mais il fallait bien faire ses courses tout de même!

Il y en a même qui entraient à reculons et passaient commande en tournant bien le dos au comptoir. Il paraît aussi que les plus peureux  restaient derrière la porte d’entrée et poussaient une petite liste de course et un billet à l’intérieur, armés d’un vieux cintre étiré et tordu pour l’occasion . La liste, c’était parfois des mots, mais parfois juste de drôles de petits dessins.

Aujourd’hui encore,  les jeunes intellectuels togolais qui rentrent au village en décembre, fuyant le froid des cités universitaires parisiennes pour les forêts chaudes de leur pays, n’osent pas plonger franchement leur regard dans le miroir cassé.

On dit qu’un fou a essayé un jour…et il a perdu ses yeux. Il s’agit d’ailleurs du vieil aveugle qui mendie désormais devant la porte de la petite épicerie bleue. Il raconte son drame à qui veut l’entendre et contre deux ou trois pièces il propose même de poser pour une photo souvenir devant le miroir…

Bon, faites attention tout de même, si un jour vous passez par Kpalimé !

On ne sait jamais !





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                                                                  Ma chanson préférée

 


Ma chanson préférée avait soudain pris corps devant moi.

La belle Tamira se trémoussait là, sous mes yeux, tout près, à quelques centimètres seulement de mon nez hagard. Elle faisait onduler lentement ses jolies hanches. Ses ongles rouges éclatants effleuraient sa taille et soulignaient la blancheur de sa peau de jeune fille…Ses grands yeux noirs me regardaient avec insistance et chantonnaient doucement d’une voix suave « ah si j’étais riche ! ah si j’étais riche !....lalalala… »

Moi, je dégoulinais de sueur, il faisait probablement 45 degrés dans la petite cabine du Peep Show de la rue Saint Denis…Mais bon sang comme cette fille m’excitait ! Comme je la voulais !

Sentant très nettement mon sexe durcir et se dresser sous l’affluence du désir, je lui glissais un cinquième billet de 100 € et me risquais à effleurer son pubis : pour 500 € j’en avais tout de même le droit, non ?

« Dégage ! tu es moite, tu pues ! « 

« Et puis achète-toi du dentifrice parce que tu as une sale haleine espèce de porc ! »

La petite peste d’albanaise venait de déverser sur moi un véritable torrent de dégoût, du haut de ses 20 ans ahurissants et de ses exquis talons aiguilles rouges de 10cm….J’en avais des frissons le long des omoplates tellement ses cris me stimulaient ! Mon envie avait encore augmenté…

En tout cas elle avait déjà fait disparaître mon argent et me regardait maintenant d’un sourire mi froid, mi moqueur : « Eh, le gros lard, regarde-toi un peu dans la glace, ça en vaut la peine ! »

Tamira m’indiqua de son délicat menton le miroir qui tapissait derrière elle le fonds du minuscule salon de Peep Show. J’entrevis d’abord ses fesses rondes et suaves….mais derrière elles, mon Dieu,…, non pas ça…non.

Comme étalé sur une sinistre feuille de songe, j’aperçu un petit homme dégarni et ventripotent d’une cinquantaine d’année, avec quelques cheveux gras dépeignés, la peau trop blanche et luisante, le costume terne et froissé. Cet air hagard et ce regard libidineux, ce tremblement dans les mains…

Ce n’était autre que ce que je pourrais résumer ainsi : ma Sexualité.





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Les carottes sont jetées
 

 

- « Les carottes sont jetées Philippe ! » 

- « Pardon ? Quoi ? »

Romain, mon associé vient de me lancer les plans d’architecture de notre projet à la figure et il me lance un regard sombre et hargneux de roquet en colère, tandis que les pages du hall et de l’auditorium volent au dessus-de nos deux têtes.

« Pardon mais quelles carottes ? Pourquoi parles tu de légumes Romain ? Qu’est ce qu’il y a ? »

Mon collègue architecte se redresse et se cale, tout raide et figé dans ses converses violettes et son jean noir trop serré.

Il m’aboie littéralement au visage : « Oui c’est ça, jetées, jetées les carottes ! C’est fini nous deux Phil, je laisse tomber la boite, je baisse les bras, j’abandonne le projet. C’est une commande sérieuse et toi tu es en train de déconner, tu vas couler l’agence ! Alors moi j’arrête. Tu peux appeler le client dés maintenant pour lui dire que ce sera sans moi. »

Mon Dieu, Romain me lâche au milieu d’une grosse commande…je n’arrive pas à y croire, c’est un mauvais cauchemar. Mais curieusement, au lieu d’argumenter, de me défendre, je ne peux m’empêcher de penser au carottes.

Je les imagine joufflues et fraiches, d’un bel orange vif éclatant, ruisselantes de gouttelettes irisées. Elles sont flamboyantes et désirables, empilées les unes sur les autres en équilibre sur le rebord de l’évier en inox…

Envie d’en croquer une ou deux à pleines dents, envie de goûter la couleur de soleil orange bien sucrée avec une bouchée de mayonnaise à l’huile d’olive…

Mais tout à coup le visage de mon ex femme s’interpose très nettement et violemment, en surimpression devant l’image des carottes.

Ah mais oui, je me rappelle maintenant, c’était dans la cuisine, il y avait ma femme, les carottes, et moi. Ce jour là je portais une chemise écrue en lin décontractée et un panta-court marron de baroudeur. J’avais du style. Mais dés que j’avais passé la porte pour attraper une petite bière, mon ex épouse m’avait attrapé le bras :

« Phil, écoute moi bien ! C’est franchement la dernière fois que tu vois des carottes dans cette cuisine ! Mes carottes, achetées et lavées par MOI,  épluchées par MOI, pour nous deux, moi qui fait tout ici pour toi, comme d’habitude !  Tu ne fiches rien à la maison, tu ne m’aides jamais, tu ne pense qu’à manger des chips et boire tes bières ! Alors tes carottes je les jette, ton dîner je le balance ! Regarde ! »

Les carottes avaient glissé d’un coup dans une  cascade de peinture orange et rebondissaient une par une sur le carrelage mouillé…

Je crois que ce légume cru ne me réussit pas du tout….trop oranges les carottes, et puis trop amères, elles ne sont pas si sucrées finalement.




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                                                L’éthéorie et les théories
 

 

En pleine éthéorie, je frissonne de tout mon corps lorsque l’ambulancier plaque fermement un coton imbibé d’éther sur mes lèvres …l’odeur s’infiltre dans ma bouche et m’envahit lentement tandis que des souvenirs d’infirmerie scolaires affluent en masse vers mon cerveau.

J’ai à peine le temps de conscience nécessaire pour entendre le fracas du flacon de verre qui vient de s’écraser sur le sol blanc de l’ambulance, libérant la totalité des vapeurs du liquide anesthésiant dans l’atmosphère confinée…

Tant pis, je loupe la suite des évènements tandis que l’on me transporte vers l’hôpital dans un vacarme assourdissant, un véritable concert de klaxons parisiens.

On m’a raconté par la suite que le chauffeur somnolait à moitié tout en conduisant comme un fou furieux… totalement éthérisé par l’atmosphère, il avait perdu tout sens de la mesure, tiraillé entre rêve ahurissant et urgence professionnelle.

Pendant ce temps, je me vide de mon sang, la balle a complètement traversé mon bras…des gouttes de liquide rouge foncé s’échappent de mon corps pour aller se mélanger à l’éther qui recouvre le sol du véhicule…je suis « ailleurs ».

L’instant des théories s’ouvre immense, devant moi, à perte de vue.

Mon cerveau s’avance seul sur une plage infinie de points noirs et blancs. L’esprit marche légèrement sur un lac d’eau chaude couleur rouge sang. Il échaffaude les théories les plus folles, il divague, en plein songe médical.

L’éthéorie se définit précisément par un enchaînement farfelu et surprenant de théories. Rien ne semble pouvoir y mettre fin…

Mais tout à coup je me réveille en sentant le bras de Paul derrière ma nuque.

« On t’a fait manger ma chérie ? Tu vas bien ? J’ai eu si peur quand ils m’ont appelé si tu savais !  Alors ton bras, ton bras  ? » me demande-t-il d’une voix nerveuse et inquiète…

La clinique est pleine d’une lumière rose et humide. Il fait chaud, la fenêtre est ouverte…j’aperçois un pétale rouge qui vole lentement dans le courant d’air , il vient se poser doucement sur mon bandage blanc.

Comme ce rouge me plaît…

 Hum !  ça  sent bon les tulipes fraîches.           




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              Ils faisaient pousser des statues
                     dans les jardins secrets



Samedi matin, elle saute rapidement de son lit, file dans la douche et ne prends pas même le temps d’avaler son café. Elle enfile quelques vêtements, enfonce son bonnet sur ses oreilles, attrape ses clés et sort en trombe pour ne pas rater le bus : l’atelier de modelage commence à 10h et il ne reste que 35 mn pour traverser tout Paris ! Vite !

Il pousse délicatement la tête endormie de sa mère, elle est malade et pour une fois qu’elle dort, il ne faut surtout pas la réveiller. Il écarte la jambe inerte de son petit frère qui marmonne quelque chose dans son sommeil et se retourne sur le ventre. Il enjambe les pieds entremêlés de ses sœurs, et enfin il sort prestement de la hutte au toit de paille : il fait déjà très chaud et humide dehors ce matin, mais vite il faut se dépêcher ! On est samedi matin ! Il faut trouver un moto taxi pour rejoindre Tomegbe. Nous sommes au Togo...alors il faudra peut être deux heures ou peut-être plus encore, pour parcourir 25 km de piste bosselée et inondée.

Paris, 13ième arrondissement : il est 14h. Cela fait déjà 3 heures qu’elle s’acharne, les doigts plantés dans l’argile rouge et les cheveux couverts d’une fine poussière de terre. Elle modèle, elle sue, elle cherche la forme, elle essaye. Peu à peu, le corps d’une homme africain semble se dégager de la masse : une statue d’argile sensuelle et puissante. Un homme musclé et fort, un travailleur capable de bêcher un champ entier pour préparer les buttes de terre nécessaires à l’igname.

Tomegbe, 15h00 : il est arrivé très en retard au centre d’apprentissage et d’arts traditionnels. Les autres élèves font cercle autour de lui et l’observent avec curiosité et étonnement. Pourquoi s’acharne-t-il avec son ébauchoir sur ce drôle de buste en ébène ? On dirait des cuisses, on dirait des seins, mais oui, c’est une femme nue. Elle est lascive et belle, alors que ce n’est encore qu’une ébauche, un brouillon de désir. Il y a pas mal de musulmans au centre et son travail surprend, mais lui il s’en fiche il est catholique. C’est comme ça. « C’est une femme », lâche-t-il, « et elle vit à 5000 km ». 

Homme, femme. Togo, France. Tomegbe, Paris. Il y a des statues secrètes qui prennent vie, il y a des jours particuliers qui font mal derrière la nuque…Il y a  des aéroports et des visas. Il y a des douaniers pointilleux et vénaux qui vous demandent un jour de défaire l’emballage d’un paquet énorme. Parfois difficile de ramener une grande statue d’Afrique, lourde et sensuelle….

Mais vous savez, le désir se fiche des frontières, l’envie court et vole tout le  long des 5000 km. Et cette envie là peut parfois vous rendre fou.





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                        FIP sur la route 

 

C’était ma petite musique de nuit rien qu’à moi, celle que j’écoutais vers 3h du matin entre Dijon et Paris, lorsque je la surprenais avec ravissement sur les ondes langoureuses de la radio FIP. Je glissais alors ma main sur les genoux de Michel qui conduisait avec douceur et je m’enfonçait lentement dans le sommeil tandis que le bitume défilait sous nos roues… « Madame rêve ! » me lançait Michel en riant tandis qu’il sentait mes doigts se décontracter et s’ouvrir avec abandon sur son ventre.
« Fais comme l’oiseau, envole-toi ! » ajoutait-il et il couvrait ma main de petits baisers frais.

 Je m’évadais alors tout doucement et je me répétais toujours avant de sombrer : « que ferais-je sans Michel ? ».
 Ce soir, je viens de surprendre la chanson « My sweet Lord » sur FIP, et je me demande à nouveau avec angoisse ce que je deviendrais sans lui : ce 1m92 de gentillesse et de maladresse affectueuse. Cet homme là c’est ma liberté, c’est mon Tout, c’est mon frère, c’est mon Lord à moi toute seule !

« Pierre et le loup avait pêché une truite tu sais… »
« Ah oui ? » Michel  vient de me chuchoter  ces quelques mots à l’oreille, et je marmonne en retour «  besoin de rien, envie de toi Michel, rien que toi, mais pour la truite c’est d’accord. Le loup est aussi sage qu’un husky et Pierre cuisine merveilleusement bien. Donc d’accord oui, on va se régaler ce midi, hum , ça va être délicieux ! »
Michel éclate de rire et m’embrasse dans le cou… « Aller, rendors toi ma chérie. »

Il en faut peu pour être heureux et là il est tellement bien avec sa petite elfe au creux de la voiture qu’il ne sent même pas la fatigue se presser sur sa nuque lourde. Il écoute FIP avec moi et nous traversons Vezelay, un ravissant village dont l’aube violette révèle les façades en pierre et les ruelles assoupies…
Démons et merveilles, vents et marées se sont depuis longtemps emparés de cette charmante petite ville de Bourgogne située au bord du Morvan.
« You are the girl from Ipanena », me chantonne soudain Michel, qui vient de se rapeller ce fameux petit Hôtel de vézelay, le Compostelle : nous avions discuté et bu du vin toute la nuit en grignotant des olives trop salées.
Moi je rêve,  je pique du nez, et ma tête doleline lentement de gauche à droite.

Il m’avait dit  « il suffira d’un signe ..."
Et tout à coup je me réveille en sursaut en entendant FIP jouer « Benny and the jets » D’un seul regard, Michel m’a comprise, il passe la vitesse supérieure et  40 mn plus tard nous abordons l’étroit chemin rocailleux qui mène jusqu’au hangar des avions.
Il est 5h45 maintenant, une lumière rose et claire envahit déjà le ciel bleu marine. Les portières de la citroen claquent, nos chaussures crissent sur le gravier, ça sent fort l’herbe et le foin.

J’attrape Michel par la main et je me mets à courir en l’entraînant vers la piste :
«Non mais regarde un peu ! » lui lançai-je avec fierté : l’ULM bleu et rouge se dresse derrière le hangar, prêt pour le décollage.
Je coure m’installer à la place du pilote, tandis que Michel ajuste déjà sa ceinture de sécurité. Nous installons tous les deux nos micro-casques qui nous permettront de communiquer malgré le bruit infernal là haut, à 300 m d’altitude.

« ça te dit, le soleil qui se lève dans le cher au dessus du château de Chenonceau ?  La vallée de la Loire qui brille au milieu de la forêt et  des champs de betterave ? »
« Mon Dieu oui,  c’est parti cher pilote ! » s’exclame Michel,  « c’est toi qui conduis cette fois ! moi, je ne sais pas voler …»
J’allume le moteur et je roule sur la petite piste perdue dans les champs de blé, de plus en plus vite…ça secoue un peu mais Michel ne montre rien de son inquiétude…
Lorsque nous décollons le disque rose du soleil levant noie déjà la vallée d’une lumière mouillée toute dorée. La campagne s’habille lentement de neuf  sous nos ailes, avec ses couleurs les plus chatoyantes.

Ça sent bon la rosée dans la minuscule cabine. Michel, émerveillé ouvre des yeux écarquillés sur le ciel.





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Roman en kit:
mode d'emploi

Hier après midi sur l’autoroute A1, je suis passée tout près de la chaîne IKEA, j’ai pu en apercevoir les lettres géantes tout à fait jaunes et bleues….Des souvenirs de  sympathique consommatrice en biens habitables ont aussitôt déferlé sur moi : odeurs de frites allégées, vision du petit Alexandre joufflu s’immergeant dans la piscine à boules multicolores, étagères en bois laqué noir à trois gammes de prix, boissons rafraîchissantes à la groseille, fauteuils de bureaux immenses et douillets mais salissants, couples se caressant fiévreusement la main à la recherche du sommier idéal, chaises en osier discrètement assorties à la table de la cuisine couleur blanc-crème, jumeaux roux grassouillets un peu vilains se chamaillant bruyamment au rayon luminaires, amoureux totalement  béats devant leur premier dressing fourre tout tout en miroirs, grands-mères motivées venues soutenir le rêve d’installation de leur petit fille a coups de cuillères à salade et brosses à toilettes….

Non ! Non ! Stop ! Moi je dis Stop ! Arrêtez s’il vous plaît ! Un peu de pitié pour les….heu pour les…

   Mon couple est fini, ramassé, cassé, plié, démonté, dévissé, en morceaux, en poudre, en kit…je n’ai aucun marmot tout rose à noyer sous les balles en caoutchouc de la piscine…et mieux encore, je n’ai même pas d’appartement ! Voilà, c’est dit je n’ai pas d’adresse à moi. Bon, alors, vous pensez bien que IKEA…..eh bien IKEA non merci, franchement non merci !!

J’ai donc rapidement décollé mon visage de la vitre poisseuse de la voiture et j’ai poursuivi tranquillement le fil de mes pensées….C’est incroyable tout ce qui peut vous passer par la tête lorsque vous effectuez un Paris- Lille,  passagère automobile résignée et doucement soumise au fil conducteur du bitume…

Moi c’est un livre que je voulais. Parce que j’aime les lettres et les mots,  parce que j’aime l’odeur et le poids du papier, j’aime recoller les vieilles pages déchirées, j’aime cet objet qui ne tient pas de place, se glisse partout avec vous, vous accompagne jusque dans les toilettes, vous fait basculer dans  le sommeil avec tendresse, vous permets de griffonner rapidement des espèces de tout petits secrets, j’aime la couleur blanche et l’odeur bleue des livres.

Et quand on n’a plus ni maison ni mari, on peut toujours se rabattre sur la lecture pour se sentit moins bête, et surtout un peu moins toute seule.

Finalement le roulis du moteur m’a endormie et je suis aussitôt partie en rêve chez LIVREA, bercée par la conduite souple de mon cousin. J’avais envie d’un livre, de me fabriquer un beau livre à moi seule.

Dans le grand magasin LIVREA il y avait des rayons bleus, des verts, des roses, des dorés….il y a avait des arcs en ciel de papier multicolore. Le grain en était doux, très doux, ou bien rugueux, très rugueux. L’odeur en était sucrée ou salée, poivrée ou citronnée. Et puis on pouvait choisir une encre orange à la canelle sauvage, ou bien une encre noire à la vanille exquise. Il y avait des copeaux de chocolat noir a soupoudrer légèrement entre les pages….avec un peu d’amande amère mélangée.

Et puis on choisissait ensuite les ingrédients : amertume de l’ironie, rouge de la violence, muscade de la passion. Au rayon « style » il y avait le sexe, le rire, le voyage, la folie, la moquerie, le manque, le désir, la faim, l’aventure, l’oubli, l’ennui… Un couloir entier s’étalant sur 200 mètres était entièrement consacré aux choix des personnages….Un autre couloir l’était aux lieux et décors, tous plus étonnants les uns que les autres, ou bien tout simplement banals.

Bon, IKEA m’avait rendue un peu nerveuse je l’avoue !

Alors j’ai choisi du papier brun extra rugueux au poivre et gingembre, en lettres majuscules, personnages violents cagoulés et décor ahurissant.

L’action ? Eh bien pour l’action j’ai choisi une explosion.

Pour le lieu ? La maison mère IKEA, en Suède.

Je m’étais sentie tout à fait chez moi au rayon du consommateur terroriste.




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Le Carnaval des livres

La semaine dernière, je me suis rendue au Carnaval des livres, dans le quartier du cinéma, au cœur de la vieille ville de Pragues. C’est un vieux monsieur tout frêle, à moustaches grises et chapeau de feutre noir, qui avait fort discrètement glissé une petite affiche publicitaire dans la poche de mon manteau…Sans cela il est probable que je n’eusse jamais connu l’existence d’un Carnaval…des livres !

Ce dimanche matin là, je me rends donc à l’adresse indiquée sur l’affiche. A mon grand étonnement, une simple porte d’immeuble m’attend au numéro 106 ter, de la rue des Idées. Je sonne avec un soupçon d’appréhension et je pousse doucement la porte dés qu’une sonnerie m’en signale l’ouverture.

Je découvre alors un ravissant petit jardin envahi de lierrre et d’herbes  folles : des lilas et des roses jaunes illuminent toute la cour de leur odeur printanière. Mais il n’y a personne, c’est assez curieux pour un carnaval. Tout à coup j’aperçois un vieux livre par terre, juste au pieds d’un petit puit entièrement recouvert d’une mousse vert tendre. Intriguée, je me baisse aussitôt pour le ramasser, je l’ouvre délicatement à la première page et là…et là je me sens comme happée, violemment absorbée, kidnappée par l’ouvrage.

Je suis prise d’un vertige soudain et lorsque je reviens à moi, je me trouve à l’intérieur même du livre !

Il comporte 1500 pages…et autant de portes que de pages. A la page 1 je pousse la toute première porte : je me retrouve alors propulsée dans un cirque. Une belle trapéziste brune se balance avec grâce au bout d’une corde  tandis qu’un funambule aux boucles noires coure le long d’un fil…je constate avec surprise que la jeune trapéziste  a ma cambrure, mes seins, et aussi mon grain de beauté sur l’arrondi de l’épaule gauche.

Je referme la page 1 et je pousse aussitôt la seconde porte, page 2 : une jeune femme aux hanches rondes, coiffée d’une simple queue de cheval, se penche pour moucher un minuscule petit garçon à l’air sérieux. Elle a mon visage, elle a la même façon de se retourner lorsqu’elle entend mon pas derrière elle. Elle a la même façon de me sourire lorsqu’elle chuchote un secret au petit homme en me regardant.

Sidérée, je ressors sur la pointe des pieds pour ne plus les déranger et je me repose quelque instant dans le couloir immense qui distribue des centaines de portes. Ce couloir n’a pas de plafond, il est parcouru de lumière et de vent. Partout des abris sont installés dans les murs pour que les oiseaux puissent se reposer durant leur vol, pour que les mouettes se sèchent plus facilement les traces fraîches des vagues de l’océan. On entend la mer, on sent l’odeur des poissons.

Mais je décide de pousser la troisième porte, une porte bleue à fleurs jaunes, page 3. Une jeune femme aux cheveux courts semble se disputer légèrement avec un homme plus vieux qu’elle. Ils se trouvent dans un observatoire, il est question d’un voyage spatial et l’astrophysicien semble désapprouver le départ proche de la jeune scientifique pour une mission d’analyse. Je peux apercevoir dans une capsule la combinaison prévue pour ce voyage. Elle semble faite sur mesure…pour moi.

Avant la page 4, je comprends très nettement que les 1500 pages sont autant de vies parallèles….que j’aurais moi-même pu vivre ces 1500 existences potentielles. Je reconnais mes rêves les plus fous, mes envies les plus folles, mais aussi les plus sérieuses.

Aujourd’hui, je vais parcourir la page 582. Il y est question d’une chanteuse d’opéra qui vient à peine de divorcer. Elle part à Rio se reposer quelques jours avec sa fille de 25 ans.



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Une histoire de timbre,
Lorsque une enveloppe non affranchie rêve de rencontrer un beau timbre poste…

Oui en effet, l’enveloppe qui gît en ce moment même au fonds de mon sac à main rêve bien chaque matin de croiser un séduisant timbre poste riche et sexy, enfin…riche avant tout ! C’est l’enveloppe de mes impôts et un vilain chèque sans provision se prélasse encore  à l’intérieur à l’heure qu’il est ! Quoi de plus normal, je suis tellement à découvert que je n’ai même plus de quoi acheter un carnet de timbres…Alors payer mes impôts… heu pas tout de suite, vous n’y pensez pas !

  Alors comme ça, une pauvre enveloppe non affranchie rêve de rencontrer un charmant timbre poste ?  Ah oui vraiment ?

Oui en effet j’avoue qu’il y a bien une petite boule tout au fonds de la poche de mon blouson. C’est une lettre d’amour pour Miguel. Elle rêve d’un timbre, fort bien, mais à vrai dire cette lettre est complètement timbrée,  Ah oui complètement timbrée cette lettre ! Franchement, dites moi, à quoi cela sert-il d’écrire à un homme qui vous a oubliée depuis belle lurette ? Oh et puis je crois bien qu’il m’a quittée aussi …

  Bon, une petite enveloppe non affranchie rêve de rencontrer un sympathique timbre poste…

Mais cette lettre là n’est pas dans ma poche ni dans mon sac, elle est dans ma peau, dans mon ventre, sur mes yeux, derrière mon front, elle est déjà toute écrite. Il suffit que j’entende le son de sa voix à lui et …et cette voix là est d’un timbre chaud, viril, doux, grave, fort, masculin, rauque, sucré, chaud. Comme j’aime le timbre de sa voix… La voix de Miguel. Faites moi penser à lui écrire encore…plus tard, quand j’aurai un timbre.

Ah oui….il reste une enveloppe encore, une dernière enveloppe : c’est celle que j’ai trouvée par terre dans la rue. Je l’ai ramassée sans l’ouvrir, j’ai acheté un timbre, et je l’ai postée aussitôt.

L’adresse indiquait « Mr Bamike, Ouagadougou, poste restante, Burkina Faso ». J’espère qu’elle arrivera vite. C’est un rêve de timbre, un timbre fantastique, que j’ai trouvé tout spécialement pour cette enveloppe noire africaine.

Et puis aussi, j’allais l’oublier : il y a la petite fille aveugle de la boulangerie.

Elle invente des timbres à elles, elle les dessine, elle les moule, elle en fait des gâteaux ou des bonbons qu’elle vend aux passants qui se les arrachent aussitôt en se léchant les babines. Tous reviennent  guetter la petite fille chaque matin avant de partir au travail, espérant déguster des gourmandises timbrées au pays de celles qui n’y voient pas clair du tout.

Ces sont les passants eux-mêmes qui amènent des enveloppes en papier kraft pour les remplir de timbres verts ou roses en pruneaux et pâte d’amande.



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Le Roseau et le Renard,
Alentejo, Portugal

Ferme les yeux et suis moi, fais moi confiance, pose ta main à l’intèrieur de la mienne, laisse toi glisser, sens mes doigts qui se referment doucement.

   Ferme les yeux et regarde là, à l’intérieur de ma voix.

   Pose ton front contre le mien et observe bien, écoute moi avec ta peau :

  Une immense plaine à perte de vue,  doucement vallonnée et couverte de chênes lièges secs et drus, des moutons endormis et paresseux, une herbe dorée rase et desséchée, une chaleur écrasante qui sent bon la figue mûre, une couleur de soleil rouge et de terre ocre.

Nous sommes étendus l’un contre l’autre, nous avons roulés nus et délicieusement enlacés dans la pénombre fraîche d’un arbre sombre. Voici l’heure de la sieste : Le soleil cogne et frappe, il nous étourdit. Nous sommes en Alentejo, au Portugal, septembre finissant encore gorgé de soleil et de fruits mûrs.

Rappelle toi comme tu aimais faire l’amour, longtemps, souvent, avec appétit.

Rappelle toi, je crois que tu as tout aimé de ce pays là, non ?

Là-bas, plus loin, se dresse un fragile roseau, fin et gracile sous la lumière et la brise. Un renard encore très jeune s’approche discrètement pour venir laper un peu d’eau fraîche, dans la petite flaque qui se dessine tout près, à quelques mètres de notre chêne liège préféré.

Depuis des semaines, chaque jour, il vient observer le jeune roseau, il tourne autour de lui, il veut jouer, il est gai, il est rieur, plein d’enthousiasme. Mais le roseau lui ne sourcille même pas, reste droit et fier, indifférent, ne se tourne même pas vers l’animal sauvage attendri. Il semble même qu’il l’ignore, en toute indifférence. Et cela dure des jours entiers…douloureux.

Il paraît que certaines nuits le renard dort au pied du roseau et il gémit doucement parfois, pour surtout ne réveiller personne…

Mais un jour il commence à se fatiguer un peu à force d’espérer, il continue à venir, fidèle au poste, mais parfois il arrive en retard et il repart même en avance…Et puis finalement il lui arrive parfois d’oublier et on ne voit même pas la pointe de son joli museau orange.

Alors là, alors là…eh bien là le roseau commence à s’interroger...il devient presque inquiet : serait il moins élégant, moins séduisant, moins passionnant, moins parfait ?
 Que peut-il bien lui arriver ?

Bref, le roseau ne comprend plus rien et commence à se tordre, se tourner, se baisser, se plier pour apercevoir le renard et vérifier le tourment amoureux qu’il espère provoquer encore.

Mais le renard n’est plus le même, il s’est fatigué, il s’est lassé…à force d’attendre sans retour aucun ni même sans le plus infime encouragement.

Aujourd’hui le roseau se plie, se tord, se plie encore, et tout à coup un simple souffle de vent le brise. Il était tellement occupé à chercher son fébrile petit admirateur disparu qu’il en a oublié de contredire la force de la brise.

Il gît désormais tristement dans l’herbe et les moutons le piétineront bientôt sans égard. Et à vrai dire le renard n’en saura rien car il ne vient plus du tout ces derniers jours.
On dit qu’il a fini par passer à autre chose !

Voilà mon histoire, une histoire d’amour et de renard.

Ouvre les yeux maintenant et écoute mes lèvres, écoute moi t’aimer : il est encore temps pour nous. Il fait chaud, il fait frais, il fait doux contre toi.

Envie d’une daurade grillée, envie d’un verre de vino verde et d’un baiser, envie d’une soirée de fado dans une vieille taverne avec ton bras pardessus le mien…




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La logitude

 La logitude c’est une drôle d’histoire, une histoire pour les animaux de la savane africaine et du pôle nord. C’est une histoire de bêtes quoi :

Le castor se plie en quatre pour casser, puis rassembler des brancheages, et les porter courageusement en nageant jusqu’à sa maison. Il s’acharne à fabriquer lui-même son logis : c’est de la logitude !

Le singe n’est pas logique : il grignote à toute allure une banane bien sucrée et il en jette aussitôt la plus grosse moitié avec grande désinvolture tout en se moquant sans vergogne des crocodiles qui ont faim. Il n’est pas logique, et ça c’est un encore un nouvel exemple de logitude !

La femelle éléphant est un peu grosse, elle envie secrètement la gracile et fine girafe qui peut facilement ceuillir les plus hautes fleurs de la brousse : ça aussi c’est bien de la logitude !

Bref, la logitude c’est un peu tout cela et parfois nous aussi les humains nous sommes remplis de cette satanée logitude. On se demande ou on veut habiter : dans un deux pièces ? sur une péniche ? dans un moulin ? dans une cabane perchée dans un vieil arbre ? en location ou en collocation ? en copropriété,  dans un lotissement pour bricoler tous les week end ? dans un 14 pièces pour les enfants et les chats ? dans un mouchoir de poche ou dans un loft ? On fait un peu notre castor…

Et puis comme la femelle éléphante, nous les femmes nous nous sentons souvent un peu trop potelée, un peu grosse : faut il commencer le fromage blanc 0% et les biscottes de régime ? faut-il s’inscrire demain entre midi et deux à un cours d’abdo-fessiers ?

Et puis on n’est pas beaucoup plus logique que le babouin : on fait parfois exactement l’inverse de ce que l’on pense et on a souvent le cœur en vrac…pour rien du tout en plus !

On est un peu bête non ?

Bref, on a tous en nous un peu de la logitude du Canada et de la savane africaine. Çà c’est sûr…


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Reims

  Il est toujours minuit quelque part et là j’étais justement à Reims…heu, oui, je sais, je sais ! Pourquoi Reims ? Mais enfin, bon sang,  pourquoi Reims ?

Je ne sais rien absolument rien de cette ville, j’en ignore même la cathédrale…Mais je savais qu’il ne viendrait pas me chercher jusque là, j’étais tranquille, à l’abri enfin. Du moins l’espèrais-je… S’offrait à moi une longue nuit, froide et claire.

Mais tout de même que faire à Reims ? Mon Dieu, que faire ? 

La lune était pleine et ronde dans le ciel noir, …sa lumière blanche dévoilait chaque recoin de la ville endormie...Mais il semblait bien inutile de me cacher car certes l’homme irait me chercher partout, vraiment partout, mais ici non ! Non pas ici, pas à Reims…

Il irait fouiller la moiteur bruyante de Calcutta,
Arpenter les quartiers rectilignes de Los Angeles,
Traverser le brouhaha poussièreux de Ouagadougou,
Interroger la nostalgie des bars à fado de Lisbone,
Caresser la folie des automobilistes du Caire,
Ecarter les tas d’ordure de Lomé…..,

Mais ici j’étais Libre, tout à fait seule et incognito.
Alors …que faire ? Une occasion inespérée d’échapper à mon tortionnaire m’était enfin offerte….oh oui, pouvoir l’oublier un peu, enfin.

Il était encore minuit et je compris soudain que Reims était pour moi la ville impossible, l’endroit de nulle part, ma part à l’envers à moi. Rien à faire à Reims ! Je préférais encore ma cavale ! 

J’ai donc choisi de filer à la gare pour sauter dans le premier train vers le sud…demain Nice, finalement. Oui, demain, réussir avec un peu de chance à me dissimuler dans les cales d’un paquebot…
Et demain soir, oui demain soir….Marrakech,  peut être ?



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Les ailes  à l'envers

Tout a commencé le jour ou Sara a poussé la porte de cette petite boutique à la devanture  en bois rouge et dorée : un magasin de jouets enchanteurs, un fourre tout romantique et magique qui a immédiatement captivé ses sens. 

D’emblée Sara s’est sentie envahie d’une curiosité inattendue et d’une chaleur vivifiante. C’est alors qu’en levant les yeux vers le plafond, elle l’a aperçue : une gigantesque baleine bleue ciel traversée d’une lumière dorée et rassurante,  planant doucement, comme accrochée dans le ciel. Emerveillée et fascinée par cette présence volumineuse, elle a aussitôt découvert un peu plus loin derrière un joli mobile en bois : une cigogne blanche gracile et raffinée suspendue à un fil de pêche , et comme traversée d’un flottement étrange. 

Tout à commencé ce jour là, dans le magasin de jouets.




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Une petite boule de feu dans la neige

Il était une fois un chien qui fumait la pipe avec  délectation, chaque soir devant un grand feu de cheminée, confortablement installé tout au fonds d’un large fauteuil en cuir qui fleurait l’odeur de feu de bois.
Il chaussait ses grosses lunettes de vieux presbyte et il feuilletait tranquillement le journal, déchiffrant avec curiosité les nouvelles du monde …et revivant à l’occasion les affres de ses multiples réincarnations,  avec plaisir et nostalgie.

Hypolite n’était pas seulement un imposant et majestueux Dog allemand, à la fois cultivé et placide…non,  Hypolite avait déjà connu des centaines de réincarnations et de très nombreuses aventures aussi variées qu’étonnantes. Il entamait cette année ses 13 251 ans, là, au milieu de cette petite île perdue du bout du monde, peu éloignée de l’Antarticque.

L’année 20 033 commençait à peine mais déjà Hipolite se sentait un peu seul et légèrement triste, malgré cette délicieuse odeur de chocolat chaud qui lui chatouillait agréablement les narines. Cet élégant Dog allemand au soyeux pelage couleur anthracite avait été oiseau, homme, femme intellectuelle, trapéziste, mendiant, architecte, maçon, dentiste, paresseux, japonais, africain, psychotique, amoureux, paumé, poète, roi, fils de roi, père tranquille, femme d’intérieur, heu…clown aussi, poisson volant, libellule…et une rumeur coure selon laquelle il aurait même été Dieu au tout début !!

Mais il était fatigué maintenant, quoique repus et satisfait de toutes ces vies là...
En cette froide soirée du 13 janvier 20 033, il se couvrit d’un vieux plaid élimé à carreaux rouges et noirs et sortit devant le chalet pour admirer la blancheur de la neige brillante. Les flocons soyeux et silencieux envahissait tout doucement la forêt environnante, sans un bruit.
Dehors il régnait une nuit froide et gelée, mais au loin, au bout du sentier, il crut soudain apercevoir comme une petite boule de lumière…dense et étrange.
Fort intrigué et inhabituellement surpris, il décida d’aller voir cela de plus près, malgré la morsure du vent glacial…il traversa donc courageusement le champ enneigé sous la lumière claire et blanche de la pleine lune. Lorsqu’il atteignit enfin le chemin, la petite boule de feu était encore là, alors il s’approcha avec précaution et sans même réfléchir il l’attrapa à pleines mains, mû par une pulsion aussi irrationnelle qu’irrésistible…

Il la saisit donc aussitôt et alors…et alors… !
Et alors un océan de douceur et de bien-être l’envahit, un ouragan de glace coco caramel aux noix de pécan et graînes de pistache amère se déchaîna…une avalanche de parfums Polynésie et hanches rondes seins génèreux se déclencha….
Hipolite disparut alors sans plus d’explication, et sans nul témoin…

De notre coté, nous ne savons qu’une seule chose : il n’eut pas de nombreux enfants et il n’eut pas l’occasion d’acheter le dernier modèle de pick up canadien, il ne parcourut plus le monde, il ne postula jamais pour intégrer un célèbre cabinet d’audit new yorkais, il ne soigna plus sa calvitie naissante, il ne s’inscrivit plus sur les sites de rencontres amoureuses….Mais il avait enfin trouvé le goût mystérieux de la gourmandise ultime et de l’extase hivernale.
Cette incroyable petite boule de plaisir mit fin à l’année 20 033 et cette nuit là, Hypolite connut enfin l’ivresse tant désirée tout au long de ses nombreuses vies.
Nous n’en saurons malheusement pas plus mais Hypolite est aujourd’hui le plus heureux des êtres, quelque part ou nulle part d’ailleurs. Nous n’en savons rien !



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Qu'est-ce qu'un météorème ?

Un météorème ? Voulez vous savoir ce que c’est ?

Eh bien…ce n’est pas un anathème, ni un chrysanthème, ni même un théorème. Non pas du tout, un météorème, c’est un rêve de météore !

C’est le petit garçon allemand, Théodore, qui se réveille au milieu de la nuit et nous raconte, ses grands yeux verts écarquillés : je l’ai vue, je l’ai touchée, elle a glissé derrière la lune, elle a joué à tourner autour du soleil, elle s’est endormie au fonds de la Mer du Japon, elle s’est délicatement posée sur le Mont Fugi, elle a frôlé les coraux de la Mer Rouge…c’était elle, la météore, j’aurais aimé partir et jouer avec elle moi !

Le météorème c’est le rêve de Théodore, et Théodore se rendort déjà en espérant à poings fermés retrouver la belle météore au creux de son édredon.




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Tous  mes voeux !

Que 2011 t’apporte onze délices à déguster  sans modération et à chaque instant !

1)       Pistache verte amoureuse et sensuelle
2)       Vanille qui sent bon, maternelle et sucrée
3)       Canelle orange qui picote et excite tes sens
4)       Framboise rouge qui affole ton amant africain
5)       Poudre de cacao guadeloupéenne  pour attendrir tes deux enfants, et    les calmer un peu
6)       Citron vert tout rond pour te rappeler à la vie dans les moments sombres et tristes
7)       Thé vert en vrac pour te faire voyager dans les montagnes du Vietnam ou dans les savanes du Ghana
8)       Camomille fraîche pour t’endormir et te consoler
9)        Pigment bleu indigo pour plonger dans tes rêves et te rafraîchir
10)          Eau douce pour rire dans ton bain et faire mousser tes envies
11)          Surprise de caramel au beurre salé pour mon dernier vœu…en honneur à ta gourmandise la plus intime. Le onzième vœu sera le tien.




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Extase bretonne

Les personnages de mon roman avaient échappé à mon contrôle….

Loic, le jeune postier, se morfondait au sommet de son vieux phare, au large de la Pointe du Raz, en pleine tempête atlantique. Il aimait d’un amour puissant et infiniment sexuel la ravissante Clara,  avec tendresse et perversion tout à la fois.

Cette extase bretonne ne faisait pas même sourciller la si sensuelle et sulfureuse professeur de dessin : oh, … ma si douce Clara.
En pleine reconversion professionnelle, cette dernière écumait toutes ses soirées solitaires sur le célèbre site internet WikiLeaks…, dans l’espoir avide de devenir journaliste à scandale et peut-être même Femme fatale.

La toute petite fille de mon roman, à qui je n’avais pas même osé décerner un prénom, m’échappait désormais totalement quant à elle : j’étais sous le charme de son sourire étonné et infiniment interrogateur. Je me sentais prisonnier d’une véritable manipulation  fantastique et enfantine.
Elle me menait presque au bord de la rupture psychologique en me rappelant étrangement la brûlante Carmen, une incompréhensible femme-enfant très sérieuse que j’avais autrefois tant adulée…

Je songeais sérieusement à prendre enfin ma retraite d’écrivain et laisser mes personnages développer leur existence propre….lorsqu’une forte éruption volcanique dévasta La Fortuna, petite ville du Costa Rica nichée au pieds de la montagne de feu, ou je m’étais récemment exilé pour me reposer.
J’étais totalement perdu, la fureur du volcan Arenal avait causé la mort d’au moins 75 personnes…une éruption en avalanche totalement inattendue. Perte d’identité, brouillage de mes repères habituels, ….les personnages de mon roman avaient totalement pris le dessus cette fois ! 

Le Costa Rica pleurait ses morts et moi je m’étais égaré, ou presque, entre la page 243 et 246. Je crois bien que l’on pouvait parler d’expulsion romanesque. Oui c’était bien cela….enfin je ne sais plus trop. ..Mais si, si, cela ressemblait fort à une éradication pure et simple de l’auteur !



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Qu'est-ce que l'inspiratage  ?

 Souffler, s’arrêter, respirer…
Souffler, se relever, expirer…
Souffler, chuchoter, soupirer…

Je cherche l’inspiration ! Je halète, en mal  d’oxygène…Tout à coup mon souffle s’accélère, j’étouffe, je ne respire presque plus !  L’air me fait défaut !
Ouf ! J’ai eu peur, on allait dérober mon inspiration, la kidnapper !
Pirates de l’inspiration, restez avec moi, rendez moi ce souffle d’air qui me manque cruellement, vite ! vite !  Un peu de pitié s’il vous plaît…

Souffler, se délasser, inspirer…Revivre.

Mais ce qui se dérobe m’attire et excite bruyamment les pirates, de toutes parts…



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L'anné passée

  Cette année passée n’avait pas été comme les autres…

Nous pourrions évoquer l’année du soleil, tant l’emballement soudain de cet astre avait transfiguré la vie des terriens. Personne, aucun scientifique n’aurait seulement osé imaginer ce qui allait advenir : une augmentation rapide et intense de la photosynthèse avait dés le 1er janvier provoqué une lente mais puissante augmentation de la concentration en oxygène dans l’air. Le soleil se préparait à mourir tandis que cet oxygène envahissait doucement nos poumons…

Dés le 10 janvier, les journalistes arboraient un sourire léger et complice lorsqu’ils évoquaient les nouvelles du monde. Le rire et la gaité envahissait les esprits. Tout n’était plus que prétexte à s’embrasser, se moquer gaiement, se divertir, s’aimer, faire plaisir, et bien sûr faire l’amour aussi…

Dés le 23 janvier, musulmans et chrétiens du Nigèria fraternisaient tendrement !

Dés le 31 janvier, les Ewe et les Kabiens du Togo décidèrent d’un commun accord d’enterrer leurs stocks d’armes et de s’enseigner sans plus tarder leurs dialectes respectifs !

Dés le 5 février, les martiniquais oublièrent qu’ils furent autrefois vendus comme esclaves par leurs frères africains !

Dés le 21 février, la Palestine ne fit plus jamais parler de ses martyres tant le partage de la terre et de l’eau était devenu simple et évident !

Le 25 décembre, en toute fin de cette année savoureuse et splendidement aérée, 6 milliards et demi d’êtres humains avaient d’ors et déjà atteint le plus haut sommet de la pyramide de Maslow : vous savez … lorsque l’ensemble des besoins primaires, intellectuels, et spirituels sont satisfaits.

Le 31 décembre, l’ensemble des nations durent décider en toute urgence de se télé-transporter en riant sur une nouvelle planète….la terre brûlait, le soleil agonisait, mais la joie et le bien-être avaient réalisé leur incroyable ouvrage !



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Mais qu'est-ce qu'un motisier ?

 Un motisier, c’est avant tout le mot dont je ne me rappelle plus du tout lorsque j’ai encore trop tisé…Je tise, je tise, je me saoule , et le mot m’échappe de plus belle ! Ah mais qu’est ce que j’ai encore pu dire comme bêtise ? J’avais perdu la tête…

Mot, moteur, motif, tison, tisane,….oui, oui, tout cela me sieds et j’en retiens l’écume : j’ai dit motif ? mais quel motif ? Pourquoi donc ai-je tisé ?
« Parce que j’étais encore amoureuse et parce que lui ne l’étais plus ! »

Oups ! Cela m’avait échappé…quel dommage, quelle motiserie !



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Catalogue automne/hiver  2069

La Mondiale m’avait envoyé son catalogue automne/hiver 2069…

Une superbe collection, et quelle sensation exquise que d’essayer un à un ces vêtements parfumés et soyeux ! Un univers entier de  perceptions, de sons, d’odeurs, de goûts…Je me délectais des heures et des heures à parcourir chaque touche originale de cette nouvelle collection.
Je pressais avec envie un doigt léger sur une tunique bleue turquoise et je me retrouvais aussitôt propulsée à l’intérieur d’une bulle d’eau grisante ….la bulle  roulait sur elle-même et explosait en mille gouttelettes sucrées et irisées. Je me réveillais alors entièrement nue sur une plage paradisiaque avec cocotiers, masque et tubas, hamac paresseux, nageurs antillais aux flancs musclés…et tout le tralala !!

….Lorsque tout à coup Alain fit irruption dans la capsule sans prévenir !
Ah oui c’est vrai…,  j’ai complètement oublié de préciser que le fameux catalogue m’était parvenu au moment même ou je rejoignais la planète Neptune, à bord de ma capsule individuelle Electra.
Mon indicible ravissement, à la découverte de chaque nouvelle tenue, avait naturellement aussitôt attiré la convoitise  de cet individu dénommé Alain, …lequel individu s’était immédiatement emparé du catalogue et se délectait à présent sans vergogne sous mes yeux…en plein essayage d’un costume « épices et pâtisseries marocaines ». (cornes de gazelle, danse du ventre enivrante,  poitrine douce et  généreuse sous le voile blanc garanties)
Malheureusement la puissance télépathique de cet homme jaloux et saugrenu ne me laissait aucun répit ! Il venait tout simplement de parcourir 13 années lumières juste pour me dérober le catalogue, et sous mon nez  en plus !
 

Après tout, je le laisserai jouer, et tant pis pour le catalogue, qu’il le garde et qu’il l’emporte...car moi, eh bien  je me rendrai directement au magasin : il suffisait pour cela de penser très fort au créateur de cette mode automne/hiver, le célèbre Bob Deum. On entrait ainsi en communication télépathique directe et intense avec l’artiste et ses œuvres.
Non mais, au diable ces vieilleries de catalogues dépassées que seul ce stupide Alain pouvait encore convoiter sérieusement !

Moi, je ferai sans.



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Le saltimbranque

 Qu’est ce qu’un saltimbranque ?
 

Hier, j’ai cru rencontrer mon saltimbanque, mon saltimbanque à moi, taillé pour moi toute seule sur mesure, et en même temps si inattendu et si délicieusement surprenant….Il m’a fait chuchoter, voler, respirer, nager, délirer, oublier, essayer, croire, recommencer, désirer, et puis encore désirer, désirer, désirer…
Comme c’était bon et excitant ! Il y a avait du jonglage, un trapèze, des balles multicolores bourrées de fantaisies, de la douceur et des bandes dessinées en pagaille pour me faire rire.
Oh oui, j’ai bien crû rencontrer mon saltimbanque à moi, élégant funambule de tous mes instants, des instants immenses ou bien tout simplement minuscules.

Mais ce matin, je me suis réveillée à coté de l’autre, et oui l’autre, le saltimbranque ! Alors qu’est ce que c’est qu’un saltimbranque ?
Heu…eh bien, comment dire : c’est mon saltimbanque d’hier qui a rompu son trapèze, qui a perdu ses chaussons, qui a laisser tomber  une balle. Il a coupé aux ciseaux le fil de mes fantasmes, il a recouvert son visage d’un triste masque de clown fatigué….bref il s’est cassé la gueule quoi….patatras, et tant pis pour moi qui trépasse au passage !

Alors le saltimbranque là côté de moi , juste là, celui qui ronfle fort sur mon oreiller, ….eh bien…, eh bien, c’est mon saltimbanque évanoui, c’est juste un branquignole finalement !



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Monsieur Yamanote

Il était une fois un vieux bonhomme de neige qui avait déjà quelques hivers derrière lui…
Il avait déjà 1000 ans ou 2000 ans peut être, mais Noêl était chaque année dans son cœur un festival renouvelé de glace et de gaité, une délectation attendrie de fraîcheur et de cadeaux, un festin de chocolat chaud qui coule sur les joues roses des enfants ...les bambins riaient et jouaient avec lui toute la journée….et puis …et puis,

NON ! NON ! STOP ! La véritable histoire s’il vous plaît ! Nous VOULONS la véritable histoire !

Mr Yamabote, à 57 ans,  était franchement au bord de l’épuisement à force de jouer les bonhomme des neiges… bêtement planté là comme un bonhomme Michelin blanc grisâtre,  en plein coeur de Shinjuku, le fameux quartier branché de Tokyo. Trois ans, trois ans déjà qu’il faisait l’idiot à chaque noêl, et toujours au même carrefour noir de monde. Trois ans déjà qu’il donnait le change à sa femme demeurée dans les montagnes de Takayama. Il se tenait là toute raide dans le froid pluvieux, stupidement engoncé dans son costume "pièce unique fermeture éclair entièrement synthétique" de bonhomme des neiges….En plus, curieusement, cette année là, il ne neigeait pas du tout à Tokyo.  Il pleuvait beaucoup en revanche et il lui avait fallut disposer un peu de neige artificielle à ses pieds pour faire un peu plus authentique. En cet hiver 2011 les tokyoites n’avaient pas encore vu tomber le moindre flocon de neige…alors franchement un bonhomme de neige, n’était ce pas un peu ridicule non ? SI.

Yamanote envoyait régulièrement des mandats à sa femme, il lui parlait travail fixe, entreprise, costume deux pièces, délocalisation heureuse des  activités de Canon en plein centre de Tokyo. (Pourtant Canon avait bien licencié 3 500 employés et cadres, 3 ans auparavant). Il lui écrivait des lettres rassurantes et sereines, recroquevillé le soir dans la couchette d’un hôtel capsule,…du moins lorsqu’il pouvait se l’offrir.
Et là ce soir, mal à l’aise et tout courbaturé dans son costume blanc ridicule, Yamanote se passait et se repassait son quotidien en décor blanc neige et noir obscur son dolby stéréo : nuits froides et difficile sous des tentes collectives dans les faubourgs pauvres de la mégalopole, soupes de pâtes chaudes avalées après des heures de queue grâce à une poignée d’associations caritatives, l’entraide et parfois les disputes avec ses nombreux collègues de la rue,  petits boulots sans aucune compétence que l’on s’arrache tant ils sont rares et convoités.
Alors oui, Tokyo rutilait de propreté et les rues illuminées, comme les magasins débordants,  fleuraient bon une fin d’année joyeuse malgré l’absence de neige : les couples d'amoureux étaient surpris et ravis de découvrir un bonhomme de neige alors qu’il  faisait beaucoup plus que 0 dégré…
 
Mais Yamanote ne formulait ce soir qu’un seul et unique vœu : ne pas refaire le con de bonhomme de neige à l'hiver prochain. Attendre le 31 décembre pour téléphoner à sa femme et trouver le courage énorme de lui avouer ce qu’il devait lui avouer…rentrer à la maison sans costume et sans argent. Se sentir chez lui quelque part.



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Deux ou trois nouveaux prix littéraires ?

 Nous avons désormais le Prix du Divan. Nous décernerons le premier prix à l’ouvrage enchanteur qui vous aura scotchée sans appel sur votre divan…de la première à la dernière ligne. Vous savez, ce livre que l’on ne peut commencer sans éprouver le désir irrépressible et exquis d’en goûter la chute.

- Nous devrons aussi désormais consacrer le Prix du Roman Fou : seuls les êtres possédés, fiévreux et perdus auxquels la raison ne laisse plus aucun répit, peuvent élire le meilleur ouvrage de l’année. Et cela reste un véritable honneur que de le lire et d’en ressentir toute la fantaisie …et la toute la vraissemblance aussi.

- Nous allions presque oublier le Prix du Non Roman !  Il sera offert à l’auteur introuvable qui n’a pas encore écrit sa première ligne…mais ce beau roman là existe bien, en ébauche, en brouillon, en idée, en envie. Il peut être partout à Paris, à Berlin, à Hanoi….et ici même parmi nous !

- Il y aura aussi le Prix de l’Action Livre : cet ouvrage aura touché tant de lecteurs qu’il les aura obliger à changer et à agir…comme jamais ils ne s’en seraient seulement crûs capables !
 


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Il était une fois, Jacques et Paola

Il était une fois une fois une goutte d’eau, perdue dans la pluie…

Elle se baladait de ci, de là, au gré du vent et des embruns. Elle hésitait, elle somnolait, se reposait au creux d’un nuage cotonneux, explosait gracieusement en éclatant de rire, puis se reconstituait aussitôt d’un air grave. Telle une secrète source d’ivresse et de vie, elle se demandait bien quelle langue elle irait bientôt désaltérer ? Elle se questionna longtemps puis un 24 décembre, elle sut qu’elle partirait à la rencontre de Jacques et Paola, les deux amoureux de Paris.

Pour trouver Jacques, il lui fallut dégouliner jusqu’à la place des Vosges, en plein cœur de Paris, oui c’est ça, la somptueuse place des Vosges chic et snob, chère et rutilante…enfin non, en fait il ne s’agissait pas exactement de cette place là, mais d’une autre. La petite goutte de vie alla se diluer sur la langue de Jacques, le doux SDF parfumé et âbimé qui se terrait au fonds de son sac de couchage humide et troué…- 2 dégré, il a neigé ce soir, Jacques  a froid aux pieds, froid aux mains, froid derrière la nuque, il n’en pleut plus de la rue, il n’en peut plus de la galère quotidienne pour manger, rester propre, ne pas devenir fou, ne pas se faire voler ses papiers, rester en vie au milieu de la poussière de la rue. Il n’en peut plus de la rue mais il est quand même là chez lui, sous les arcades de la place des Vosges. Surpris en plein sommeil, il accueille cette goutte d’eau de vie avec ravissement : Jacques est alcoolique, et là c’est fort, c’est bon, c’est aussi puissant qu’un verre de whisky rempli à ras bord…Il dormira bien pour une fois, soucis oubliés, le visage lové tout contre le pelage chaud de Sam et Freddy, ses deux grands bergers allemands.
 

Mais Paola alors, ou est elle ? La fine goutte d’eau, avant de d’évanouir totalement sur la langue de Jacques, est partie à la recherche de Paola, la femme de Jacques. Paola dort depuis quelques semaines dans un foyer de jeunes adultes en difficulté. La fenêtre est mal fermée, il est minuit, un 24 décembre, et Sara peaufine son CV avec application : elle a déjà une adresse fixe, et bientôt peut être un travail, un petit salaire, des fiches de paie...la galère de la rue commence enfin à s’éloigner cette fois. La goutte d’eau de vie file le long de la vitre et vient éclabousser fraîchement le front de Paola, elle glisse sur l’arête de son nez et vient échouer fièrement sur sa lèvre supérieure….Cette vie là, Paola la savoure : fini le trottoir, finie la peur, finis les courants d’air glacés de la place des Vosges. C’est décidé cette fois : en 2011 elle relèvera la tête, elle rattrapera le temps perdu.
 

Une goutte pour deux, de l’alcool pour Jacques, de la vie pour Paola.
Je ne sais pas trop ce que deviendront  Jacques et Paola, mais je souhaite à tous les amoureux de la rue de se retrouver un jour et de s’en sortir ensemble…avec un toit sur la tête et un grand lit douillet pour se faire des calins.



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Oublitèrer

  Cela commence lorsque Jeanne se tait et se renferme,
Jeanne se recroqueville et se rassemble sur elle-même,
Jeanne se terre et se rappelle, elle cherche l’oubli,

Elle voudrait fabriquer une boule d’argile et enfouir sa  mémoire à l’intérieur, l’enfoncer dans le sol, puis la parsemer de petites graines d’oubli.

Oublitèrer, se terrer dans l’oubli, se glisser sous terre, disparaître,

Jeanne prend la boule d’argile dans ses mains  et pose ses lèvres rouges dessus,
C’est ainsi que l’on oublitère, du verbe oublitèrer,
Jeanne ouvre la bouche, Jeanne souffle, la boule s’ouvre et se désagrège,

C’est oublitèré , terminé, Jeanne passera à autre chose.



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Pistigri, Mistinguette, et la concierge

 Il était presque minuit, j’étais dans la cuisine quand soudain la table se mit à trembler, les chaises vacillèrent. Pistigri, le bébé-chat blanc et noir sauta lestement et se réfugia dans mes bras,  choqué et grelottant de peur. Mistinguette, la toute petite souris à moustaches roses avait d’un coup abandonné le rebord de la fenêtre qui abritait son lit minuscule…et elle était à l’instant même résolument accrochée aux oreilles du châton. Nous avions très peur tous les trois. Etait ce un tremblement de terre ? Etait ce le grand séisme tant de fois annoncé ?

« Cierge mon mari ! » s’écria la concierge !  Mistinguette, Pistigri et moi-même nous tournâmes comme un seul homme vers la porte d’entrée : Rosina, la concierge intello avait encore fumé trois ou quatre joints et avalé quelques cachets hallucinogènes. La terre tremblait et Rosina semblait tout simplement revivre l’orgasme ultime qu’elle avait éprouvé avec le poète bizarre et bricoleur qui a avait été son mari…le seul temps d’un orgasme vaginal justement. Elle tenait fermement un cierge serré contre son bas-ventre. « Rosina ! » m’écriais je, « viens avec nous, nous devons tous nous abriter sous la table ! tu as oublié les consignes ? Tu ne sens pas qu’il se passe quelque chose là ? »

« Quoi de neuf docteur ? » s’écria le médecin légiste. Ah oui… trois jours plus tard et après plus de peur que de mal, nous avons compris. La terre a tremblé durant presque 24h, il y a eu des ascenseurs bloqués, des meubles renversés, des amoureux surpris en plein méli-mélo…mais cette secousse n’était finalement pas grand chose. Elle ne faisait que préfigurer la grande catastrophe d’octobre 2153 qui allait tous nous sidérer…au sens propre du terme comme au figuré.

Mais là pour le moment, nous étions assis à l’hôpital au chevet de Mistinguette…la pauvre petite souris bleue avait sombré dans un coma traumatique aigu et était restée comme tétanisée. Certes elle était fort amoureuse du bébé chat qui en jouait en se laissant désirer et en feignant l’indifférence…mais cette fois Mistinguette avait eu la plus grande peur de sa courte vie, en se’imaginant mourir écrasée sous la table de la cuisine.

« Quoi de neuf ? Quoi de neuf ? Eh bien mais tout va pour le mieux »,  nous annonçat le docteur avec un large sourire satisfait : « Votre souris est encore dans le coma, en plein rêve d’idylle caraibéenne avec Pistigri d’ailleurs, mais elle reprendra bientôt ses esprits. Je vais lui appliquer une bonne séance d’hypnose réactionnelle et tout ira rapidement mieux. Ne vous inquiètez plus ! »

« Ouf ! » soupirèrent en chœur Rosina, la concierge somnolente, et Pistigri, le petit chaton bicolore… qui me sembla soudain un brin jaloux de l’attention exclusive portée à Mistinguette depuis trois jours.



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Maudit karma !

 Je recommande vivement la lecture de « Maudit karma », dernier ouvrage de ce fameux auteur allemand qui se trouve désormais exilé dans une capsule spatiale, actuellement en orbite autour de la planète Neptune. Kurk Danner a en effet publié ces lignes autobiographiques tout à fait émouvantes depuis son  nouvel habitat. Il nous fait d’ailleurs régulièrement parvenir des images absolument superbes de l’espace et du vide interstellaire qui fascinent désormais son quotidien.

Mais voici en quelques mots une présentation de notre auteur et des nombreuses péripéties de son parcours :

Kirk est né dans une famille riche et célèbre. Mais à 19 ans, il a vu son père se tirer une balle dans la tête après avoir joué la totalité de la fortune familiale au poker. 

Kirk a réussi à surmonter cette épreuve sans devenir fou et il a rapidement  créé une entreprise très florissante de produits sanitaires qui s’est développé de manière exponentielle..mais a soudain fait bruyamment faillite à cause d’un vice certes caché,  mais également essentiel en terme de taille de lunettes de toilettes.

Kirk a aimé passionnément trois femmes…qui l’ont toutes trois quitté malgré son charme, son intelligence, sa gaité, son sens du bricolage, et ses performances sexuelles tout à fait convenables. (Pas de chance)

Le même Kirk a glissé sur une peau de banane un dimanche soir en ramassant le courrier sous son paillasson…et il s’est ainsi retrouvé paraplégique alors même qu’il s’apprêtait pompeusement à renoncer au monde temporel en comptant bientôt rejoindre un centre ayurvédique en Inde.

Bref ! Que vous croyiez ou non à cette foutue notion de karma, je vous recommande à nouveau la lecture de cette autobiographie et  vous propose de rejoindre Kurk en orbite…
L’écrivain déclare officiellement ne pas croire une seule seconde en un quelconque karma justement…mais il affirme ne plus vouloir quitter sa capsule et il préfère désormais nettement s’envoyer en l’air au dessus de Neptune.



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Ecrire avec des moufles

Un  premier janvier après-midi, dans la verte forêt alpine, Catherine n’a pas eu le temps de se débarrasser de ses moufles…avant d’écrire sa déclaration sur le tronc rugueux et humide d’un vieux sapin.
Ce samedi là, elle venait d’enchainer courageusement 16 km de randonnée en raquettes au milieu d’une magnifique neige poudreuse de 20 cm de profondeur… Mais elle n’a eu que 2 secondes pour embrasser avec passion le grand sapin, au sortir d’une magistrale chute un peu ridicule avec roulade avant de côté et demi roue artistique : les raquettes croisées et retournées, les moufles trempées, elle a alors écrit laborieusement sa déclaration,  armée du petit bout de branche qui était suspendu a deux millimètres de son œil gauche : « Non, non, je ne suis pas un yeti !! »
Et oui, quand on part en forêt recouverte d’une épaisse doudoune blanche intégrale étrangement semblable à un duvet….c’est à nos risques et périls !

Quelques minutes plus tard, Catherine a retrouvé Nicolas qui suivait derrière et ils sont vite partis se réchauffer les pieds et l’estomac dans un petit refuge de montagne.
Ils ont avalé avec gourmandise une omelette aux cèpes et aux lardons qui sentait bon le fromage grillé….le vin chaud à la canelle qui l’accompagnait fut  le bienvenu lorsqu’ils attaquèrent un copieux plateau de fromages de Savoie.

En quittant le refuge, repus et douillets, ils aperçurent un vieil écriteau en bois tandis qu’ils chaussaient déjà leurs raquettes. A l’aide de leur moufles encore toutes douces de la tiédeur du poêle à bois, ils raclèrent la neige et ils purent lire : « ici on a tout le temps, alors arrêtez-vous, posez vos moufles, et régalez vous ! »



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Lire était devenu un luxe

L’eucalyptus avait pourtant presque totalement recouvert la planète. En 2012, c’est bien simple, il ne restait déjà pour ainsi dire que ces arbres d’eucalyptus et les classiques palmiers pour la production de l’huile de palme. On n’avait jamais fabriqué autant de papier. Les sols s’épuisaient et les glissements de terrain gagnaient chaque mois des régions entières.

En 2020 même le bois d’eucalyptus à la croissance si rapide ne poussait plus tant les sols étaient appauvris. Fini la pâte à papier. Les livres étaient alors devenus rares. On ne pouvait plus rien imprimer et l’expression « jeter un bout de papier », ou bien « être dans les petits papiers »,  n’existait plus. Heureusement l’ipad, puis ses petits frères, avaient depuis longtemps envahi la planète ou du moins une partie de la planète : le bengladesh et l’éthiopie n’étaient pas tellement concernés au départ, par exemple.

Mais bientôt, vers 2032, chose idiote, les minerais nécessaires à la fabrication des téléphones et des ordinateurs avaient commencé à s’épuiser, eux aussi.
Alors aujourd’hui, on économisait : un livre pour 60 personnes, un ipad pour 20 et encore un vieux, un ordinateur portable pour 15, et encore un petit, un vilain !

Et au milieu coulait un alphabet. Oui, un alphabet coulait désormais au beau milieu de la Laponie, en 2080. Par chance,  les chasseurs de rênes aux vétements ocres avaient évité l’hécatombe. Le froid avait préservé leurs terres et leurs forêts. Le sol ne permettait pas d’y planter des eucalyptus et il n’y  avait aucun minerais à fouiller. Une bonne partie des terriens d’étaient réfugiés dans cette région froide et polaire qui s’étendait aux confins de la Suède, de la Finlande, de la Norvège et de la Russie. Transition démographique généralisée oblige, la population terrrienne avait incroyablement diminué. A force de faire moins de bébés, on pouvait désormais croiser de ravissantes célibataires burkinabe de 27 ans qui s’ébrouaient avec charme au sortir d’un bain glacé en plein lac gelé…avant de retourner au sauna replonger leurs cuisses fines et musclées dans la tièdeur de leurs origines africaines. Elles y cotoyaient avec naturel et dans le plus simple appareil des luxembourgeois blasés : et oui pour eux quoi de plus banal qu’un sauna mixte ?

Alors oui, c’est vrai, au milieu du ciel lapon, coulait un alphabet. Le langage des sourds muets et le braille avaient d’abord pris le dessus après la mort des ordinateurs, car il s’agissait de langages universels et pacifistes. Faute d’ordinateurs ou de papiers, on s’étaient intéressé à ces modes de communication qui abolissaient les frontières entre les pays…et apaisaient les esprits usés par des années de fièvre technologique.
Mais aujourd’hui, les nations, réduites désormais à quelques millions d’individus régroupés dans le nord, savaient lire et goûter les arcs en ciel. Rose, vert, violet, doré, pistache, vanille, irisé, chocolat au beurre salé….cet alphabet vivant et sensuel nous avait enchantés et ravis.
Seul problème de logistique : en Laponie, le soleil se lève à 10h pour se coucher vers 15h…alors les arcs en ciel sont rares.

Bientôt, les écrivains vont devoir choisir leurs lecteurs.
Quelques écrivains japonais en avance pour leur temps, maniaques et très bien organisés, avaient rejoint la banquise en 2085.  Ils détenaient un secret d’une valeur incomparable, le pouvoir de fabriquer les arcs en ciel et de repousser le coucher du soleil. Le petit groupe au langage incompréhensible maîtrisait parfaitement l’alphabet des couleurs, des sons, des odeurs et des goûts. Certains pensent qu’il s’était longtemps entraîné au sommet du mont Fugi, avant la grande migration nordique. Cette poignée de nippons en était néanmoins réduite à choisir ses lecteurs, car un arc en ciel, c’est un livre, oui bien sûr, mais encore faut-il pouvoir le voir pour le lire.
Alors ils ciblaient un petit hameau qui regroupaient quelques chalets que seuls une dizaine de km à chiens de traîneaux séparaient. Et là ils étaient sûrs d’être lus, entre 13h et 13h50 le mardi. Et puis ensuite ils fabriquait un autre arc en ciel encore plus beau pour un autre village.

Nous ne connaissons pas encore la Laponie, c’est trop froid. Mais nous allons fatalement bientôt nous y installer. Et nous commencerons dés demain à étudier les arcs en ciel.


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  Tokyo,
Opéra-Poème
 

 

Tokyo, quartier d’affaires, novembre 2010,
National Opera City Tower, étage 70,

La salle de concert est immense, toute en bois,
Son accoutisque majestueuse est de soie,

Nous sommes arrivés juste à temps, essoufflés et ravis,
Juste devant nous une fillette aux couettes noires se dandine déjà et rit, 

Cette jolie brunette de 7 ans se tortille nerveusement , à peine installée  elle s’ennuie !
Mais tout à coup le concours de chant lyrique débute dans la nuit,

Au centre de la scène un piano se  découvre avec majesté,
Une jeune cantatrice ravissante vient s’y appuyer avec grâce et légèreté...

Yeux noirs, sourcils contractés, chignon relevé en boucles douces,
Le concert commencera bientôt sous nos yeux, en toute élégance,

A l'instant seulement une voix soprano vient de déchirer le silence avec  un tel charme !
 Sous l'effet d'un coup de tonnerre, la salle en chêne massif résonne de toute mon âme...




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                 La Musicolle et l’Amusicole
 
 

Ce matin, en me réveillant, j’ai aussitôt détecté une curieuse odeur assez inhabituelle…

Etonnée, j’en ai profité pour replonger doucement le visage au creux de mon oreiller tout moelleux. Ah,  quel plaisir de se rendormir sans aucune résistance…Mais l’odeur insistait et une mêche de mes cheuveux blonds tout collante vint se fixer sur mes lèvres : c’était de la colle à musique.

Il y en avait partout, dans les draps, le long des rideaux bleus, sur les murs de la petite chambre : la musicolle s’était invitée chez moi !

 Je me suis alors levée en entonnant la chanson « « Ah si j’étais riche… ! » des Rita Mitsuko, et j’ai dansé un petit bout de salsa sous la douche parfumée et chaude. La musique m’a collé à la peau toute la journée comme un délicieux lait à l’abricot onctueux et chatoyant…c’était délicieux.

L’ amusicole, avec un « l’ » ….eh bien, c’est autre chose, disons plutôt que c’est quelqu’un.

Il s’agit d’une petite puce minuscule qui se colle à vous et vous fait sourire pour un rien. Elle vous amuse, vous fait glisser dans des fous rires absurdes, vous étourdit pendant l’amour, vous ravit en pleine dégustation d’une tarte au chocolat et beurre salé.

 Cette petite bestiole orange se cache au fonds des poches, se pose en riant au bord des lèvres. L’amusicole est une puce volante tout à fait adorable et irrésistible : je rêve souvent de l’attraper pour passer du temps avec elle.